extrait
Seuil critique
Entretien
(extrait, p. 5)
Simon Castets –
Une large partie de ton travail est
basée sur la figure mathématique de la chaînette
(courbe plane transcendante correspondant à la
forme que prend un câble lorsqu'il est suspendu par
ses extrémités et soumis à une force gravitationnelle
uniforme -son propre poids). Tu la présentes sous
sa forme renversée, c'est à dire l'arc tenant par
son poids seul. Par quelles expérimentations estu
parvenu à utiliser cette forme, et comment la
matérialises-tu ?
Vincent Ganivet –
Les jeux d'équilibre, la construction
et son potentiel catastrophique m'ont toujours
passionné. Les propriétés d'une chaîne en
suspension – dessin renversé d'une arche
autoportante –, je les ai découvertes au travers des
maquettes de Gaudi, puis expérimentées à l'atelier,
en cherchant toujours à en pousser les limites, la
complexité. Mon intervention relève d'un décalage:
à cette méthode de tracé, j'allie des techniques de
construction ancestrales - cintres, leviers, pierre
sèche (assemblage sans mortier), pour élever un
bloc industriel, tout à fait contemporain. Le long
de ces courbes “naturelles”, le parpaing, lourd et
grossier, qu'habituellement on colle puis dissimule
sous de l'enduit, prend un aspect délicat et fragile.
Il est juste calé le temps d'une exposition, après
laquelle il pourra aller retrouver le mur d'un pavillon.
SC – Pourquoi cet aspect particulier te tient-il à cœur ?
Est-ce dû à la nature même des pièces, qui, comme
une sorte de tour de magie, ne sauraient résister
au temps ?
VG – J'aime bien l'idée du tour de magie, d'un détournement
momentané du réel. J'en prélève un élément que je
présente sous un jour improbable, mais sans l'altérer,
de façon à pouvoir le rendre en l'état – c'est le principe
d'un tour réussi. Tout cela pourrait se résumer à un
“truc”, mais il ne s'agit pas d'illusion. Je ne cache rien,
on voit les cales et les sangles. Il n'y a pas de colle.
SC – Qualifies-tu ces pièces de sculptures ou
d'installations ? Dans une ancienne interview tu
utilisais l'expression “sculpture en fonctionnement”.
VG – Bien que je m'en sois toujours défendu, j'ai là le
sentiment de toucher à la sculpture. La plupart de
mes “installations” relèvent de systèmes, de modes
opératoires généralement liés à la mécanique -
dynamique ou statique. Je lance un procédé, un
fonctionnement. La forme vient après. Mais il est vrai
que ces arches et ces vrilles ont quelque chose de
particulièrement sensuel.
(...)