les presses du réel

Fabricateurs d'espaces

extrait
Introduction
Nathalie Ergino
(p. 4-5)


Fabricateurs d'espaces a réuni huit artistes, à un moment donné, sans volonté de perspective historique, essentiellement dans le but d'expérimenter et d'interroger une pratique sculpturale à priori différente.

Qu'il s'agisse de l'espace environnant, ici et là, de celui à l'intérieur du lieu d'exposition comme à l'extérieur, des tréfonds de la terre au cosmos, c'est résolument l'appréhension de l'espace qui rassemble ces démarches dont le pluriel du titre renforce la multiplicité. L'espace qui, du fait de la dimension sphérique de la terre, nous traverse de toute part.

Le terme « fabricateurs » vient lester cette dimension en apparence abstraite, pour jouer de l'interaction entre matérialité et immatérialité, gravité et apesanteur. S'y ajoute une ambivalence que ne recèle pas le terme de « fabricant » : fabriquer comme créer des œuvres de l'esprit, inventer de l'illusion…
Les fabricateurs utilisent l'espace comme matériau même de l'œuvre alors que les éléments physiques (bois, métal, objets…) en deviennent les outils, pour le « dessiner », comme si celui-ci était contenu par la matière même.

Ces œuvres en volume ne sont pas des installations ni des agencements de ready-made Les artistes ici présentés utilisent volontiers le terme de « sculpture » qui leur permet, en dépit de sa connotation classique, de s'affranchir de leur héritage immédiat, à savoir celui des années 1960 et 1970. On constate à travers l'exposé historique de Michel Gauthier, articulé autour de « l'œuvre spacieuse » et de « l'œuvre située », que les propositions des fabricateurs utilisent certes un vocabulaire conceptuel et parfois minimal, mais ne se préoccupent pas directement du lieu d'exposition ni de son contexte architectural, ni de sa dimension neutre de white cube.
Elles s'inspirent toutefois de l'approche spacieuse d'un Kaprow en lien avec l'attitude expansive, multi directionnelle et active de Pollock. Nombre d'entre elles se déplaçent vers l'extérieur, puisant leur source dans la notion d'expanded sculpture théorisée par Rosalind Krauss, relative aux pratiques des artistes du Land art. Enfin, elles frôlent les expériences perceptuelles et immersives induisant la perte de repères, de Gianni Colombo à Robert Irwin, jusqu'à Ann Veronica Janssens

Les fabricateurs visent à se propulser au-delà de toute limite. Leurs œuvres en tension forcent, agitent, poussent, jusqu'à se pulvériser, comme si elles étaient en quête d'un ailleurs.
Hans Schabus incite à franchir la limite d'une palissade physique et mentale ; Vincent Lamouroux se projette mentalement au centre de la Terre ; Michael Sailstorfer capte les profondeurs et les activités d'un bâtiment tout en s'érigeant vers le cosmos ; Jeppe Hein fait bouger les murs, Guillaume Leblon les traverse ; Björn Dalhem importe l'impossible représentation d'un trou noir, enfin Evariste Richer sonde l'inconnu, l'irreprésentable, au-delà de L'Œil du perroquet, au-delà de la vision.
Les espaces générés par les fabricateurs, s'ils apparaissent parfois statiques et désincarnés, sont en fait en mouvement perpétuel : des frictions du pneu de Sailstorfer aux émanations de fumée des murs de Leblon, ces espaces déploient de l'énergie, de la puissance, se comportant comme s'ils étaient des constituants actifs de l'univers.

Nadine Descendre s'interroge ainsi, « pour quels objectifs sont-ils si nombreux à vouloir propulser leurs œuvres dans un non-champ sidéral entre entropie et trous noirs ? » Sont-ils, comme le suggère Anne Bonnin, « à la conquête d'un espace vital » ?
Ou tentent-ils de générer une autre perception d'un monde en accélération où l'espace et le temps se confondent tout en se démultipliant à l'infini ?


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