Préface (p. 2)
Qu'il s'agisse d'amour, de sciences, de droit, d'économie, de politique, de media ou d'art – les sous-systèmes qui constituent le monde possèdent leur propre logique, leur propre façon de réagir, leur propre vitesse.
L'unité du monde – telle que l'a définie
Niklas Luhmann, sociologue, père de la théorie des sous-systèmes – est une illusion. Le monde est composé uniquement de sous-systèmes. Ces systèmes ignorent les autres systèmes. De plus dans le même système, il y a un espace de questionnement ou même une sorte de saine ignorance à l'égard des présuppositions du système lui-même.
Telle est la place du Bureau des compétences et désirs dans le monde de l'art. Luhman était un mec génial. Il voulait que nous puissions comprendre le monde et donc l'accepter, avec toutes ses contradictions, ses changements continuels et leurs infinies variations. Cela signifie que nous devons apprendre à percevoir le monde de l'intérieur. Dans la théorie de Luhman, il n'y a pas d'outsider, nous sommes tous dedans et nous devons donc agir en conséquence. Mais en retour, on doit comprendre comment les choses fonctionnent et pour Luhman cela signifie que nous devons prendre très au sérieux nos modes de communication. Cela aussi semble parfaitement applicable aux actions du Bureau des compétences et désirs.
Cependant, en général, on ne communique pas comme un candidat à la présidentielle ou un marchand d'art, on communique avec le monde – la plupart d'entre nous évidemment – comme des touristes. Un touriste réagit en fonction de ses espérances et il produit en conséquence de nouvelles attentes. Un touriste prend au sérieux même les formes de communication qui n'ont pas un caractère touristique au premier abord.
La théorie des systèmes tente de comprendre comment les choses s'organisent elles-mêmes – depuis l'intérieur – en système de communication pour former ensuite leur existence même.
C'est ainsi que je décrirai l'histoire du Bureau des compétences et désirs et le devenir de cette publication. Les systèmes de communication du Bureau – auquel les compétences et désirs font référence – détournent la production de l'art et recommandent, au lieu de l'opportunisme ou du défaitisme, un refuge créatif et alternatif. Je dirais même que le Bureau – pensez à ses splendides livres de cuisine – prend le tourisme culturel très au sérieux, en déviant et questionnant les formes existantes du tourisme.
Ainsi, le Bureau se préoccupe d'action et de réaction, mais pas seulement. Il crée un miroir de la production artistique, et agit bien au-delà de la région de Marseille. Mais encore, le Bureau est une sorte de prisme indéfinissable – et pas encore figé à ce jour – dont le but est de vérifier le bien-fondé d'un sens présupposé et d'assurer la validité des autres sens.
Le Bureau des compétences et désirs rend le possible probable, et le probable possible. C'est un sous-système – et le Bureau le nie à peine – qui existe uniquement en regard du système qu'il défie.
Le Bureau est une petite partie du monde de l'art. Il n'est ni un secret ni une secte mais, au lieu d'imiter le vaste système de l'art, il a créé son propre système, le système de production d'une culture. Et ce genre de production, nous en manquons terriblement dans le monde de l'art aujourd'hui. Le Bureau des compétences et désirs offre une place au monde de l'art – à la production et la communication d'une culture – au lieu d'en faire un domaine spécialisé. Le Bureau des compétences et désirs est un moyen privilégié pour parler haut, pour communiquer avec et pour.
Chris Dercon, directeur de la Haus der Kunst de Munich