Le dixième numéro de la revue de l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Bretagne, sur le thème de la ville jamais achevée, dans le contexte des crises de grande ampleur qui nous submergent et imposent d'imaginer une nouvelle alliance des usages et des formes pour permettre de penser que l'imprévisible est possible.
Si les crises que nous traversons aujourd'hui perturbent et bouleversent nos habitudes et nos modes de vie, elles paraissent aussi largement exacerber des problèmes préexistants de nos territoires. Les temporalités de ces crises sont extrêmement variables, de la brutalité d'une pandémie au temps long du changement climatique, on y entre et on en sort plus ou moins vite, ou du moins on essaye d'en sortir.
Cependant ces crises partagent entre elles le fait qu'elles nous provoquent et interrogent notre aptitude au changement et nos capacités de résilience et d'adaptation à des circonstances nouvelles ou au moins modifiées. Cela recentre notre attention sur le rapport que nous entretenons avec des formes architecturales et urbaines devenues problématiques. Leur réutilisation et leur évolution pour s'adapter à de nouvelles circonstances, parfois imprévisibles, interrogent les manières dont nous produisons ces formes. Pendant longtemps nous avons aménagé les cours d'immeubles, le fond des jardins ou surélevé les bâtiments, mais les problèmes actuels sont d'une autre ampleur.
Si nous sommes les héritiers du zoning fonctionnel et des projets conçus comme des totalités finies, aujourd'hui c'est bien notre capacité à inventer de nouveaux dispositifs formels qui est en question.
Parfois, certaines transformations peuvent sembler générer du chaos ; avant tout, elles mettent en cause un ordre des choses. Ce challenge à l'ordre paraît être plutôt un nouvel équilibre temporaire et instable. En effet, ne sommes-nous pas toujours à l'œuvre pour modifier, au moins partiellement, notre environnement ?
– Comment à l'échelle des formes urbaines et territoriales, renouveler nos pratiques d'aménagement en adéquation avec d'autres manières de les occuper et de s'y installer tout en intégrant de nouveaux rapports de proximité entre les usages ?
– Comment à l'échelle des formes architecturales, ménager la liberté de l'habitant pour qu'il puisse s'acclimater au monde et inventer de nouveaux types d'organisations formelles ?
Dans les deux cas, il s'agit d'adapter l'existant et d'inventer de nouvelles manières de faire plus respectueuses de notre environnement et plus en adéquation avec de nouvelles pratiques. Cela apparaît peut-être avec plus d'acuité aujourd'hui, mais pose à nouveau la question de l'évolution des usages et de la modification des formes architecturales et urbaines héritées du Mouvement moderne et de la période contemporaine. Beaucoup de projets ont été conçus comme des modèles finis. Il nous faut envisager aujourd'hui comment des territoires, des villes et des architectures peuvent intégrer de manière dynamique les modifications de notre quotidien et de nos manières de vivre au fil du temps et des crises. Ne nous faut-il pas imaginer une nouvelle alliance des usages et des formes qui, fondée sur des connaissances renouvelées, puisse nous permettre de penser que l'imprévisible est possible ?
Miquel Peiro, Nadia Sbiti, Frédéric Sotinel