Un projet pictural / photographique bucolique de Julien Carreyn autour d'un moulin à eau à Grasse.
Le moulin des Ribes à Grasse et sa vie sont les protagonistes de ce livre, composé de photos prises par Julien Carreyn en mars 2020. Invité en résidence par la Società delle Api (Silvia Fiorucci et Cristiano Raimondi), l'artiste s'est installé dans le moulin à eau et a passé ses journées à observer et à photographier ses éléments constitutifs, notamment des peintures, les prés, les habitants et les invités, utilisant des appareils photo instantanés (comme le Polaroid SX-70) pour capturer les scènes bucoliques qui l'entouraient.
Cependant, avec le début de la crise sanitaire qui a plongé l'Europe dans le premier confinement, son séjour, qui devait durer un mois, a été brusquement interrompu. Julien Carreyn rentre à Paris et passe ses journées sur les bords de la Loire avec sa famille et ses amis. Toujours obsédé par certaines images mentales, comme les petits tableaux d'Amadeo Luciano Lorenzato, il les retravaille en empruntant les tablettes de gouache de son fils et en peignant sur de petits morceaux de carton. Mélangés aux images, ces fragments évoquent le verso des cartes retournées, comme un jeu d'une « mémoire originelle » interrompue. Le volume rend compte de ces photographies, collectées et élaborées par l'artiste et la graphiste Myriam Barchechat pour évoquer les souvenirs et les images de la vie et de l'atmosphère des paysages français.
Lycéen, Julien Carreyn (né en 1973 à Angers, vit et travaille à Paris) découpait des photos dans la Gazette Drouot ou dans le Courrier de l'Ouest, et il remplissait de cahiers ces images trouvées. Il les organisait en chemins de fer, méthodiquement mais spontanément, et c'était avant de connaître Hans-Peter Feldmann. DJ, quelques années plus tard, il était à la recherche de l'enchaînement le plus juste, de la séquence musicale permettant d'apporter surprise, rupture mais aussi fluidité. La cassette parfaite, c'était son obsession et celle de ses amis. Un enchaînement sonore et mental procédant de la concaténation, c'est-à-dire de l'action de mettre à bout au moins deux chaînes, AB BC CD... Lorsqu'il s'est agi de prolonger à la fois cette recherche de l'enchaînement parfait et cette quête infinie d'images, c'est-à-dire de travailler pour se constituer son iconographie, une règle s'est imposée : il devait être l'auteur de toutes ses images. La question des images trouvées et de leur usage ayant peut-être définitivement réglée par Feldmann ou
Richard Prince, il lui fallait trouver une voie qui impose une puissance créatrice, une vitalité. Quelque chose ayant à voir avec une certaine idée de l'artiste comme surhomme, qui permettrait de réconcilier, selon l'utopie nietschzéenne, le rationnel et le passionnel. Quelque chose comme un nécessaire passage à l'acte. Alors Julien Carreyn s'est appliqué avec beaucoup de persévérance, et un brin d'obsession, à produire un corpus d'images (
photos et
dessins) de plus en plus dense, explorant des territoires aussi variés que l'est sa culture transversale de l'image et qui englobe aussi la bande dessinée
érotique des années 70, les manga, l'illustration jeunesse...
A l'instar des œuvres mystérieuses du symboliste belge Fernand Khnopff – compositions peuplées de femmes hiératiques, inaccessibles et au regard trouble, ou paysages renvoyant au monde du rêve –, les images de Julien Carreyn évoquent un passé disparu, englouti dans le vague des souvenirs.
L'artiste photographie des modèles qu'il fait poser dans des intérieurs saturés d'objets à haute valeur culturelle et symbolique. S'en suit un long travail d'atelier solitaire et minutieux pour faire naître, par le biais de techniques d'impression obsolètes, des dessins et des photographies qui sont ensuite assemblés en séries et disposés sous vitrine tels des vestiges culturels.
Julien Carreyn a un désir d'imaginaire et d'esthétisme. Particulièrement intéressé par des techniques de reproduction anciennes et/ou rudimentaires, il a choisi de privilégier le dessin en tant que processus créatif pour tenter de créer un nouveau langage.
Boulimique et érudit, c'est par la fusion de références multiples qu'il produit des œuvres à l'aspect faussement désuet, mêlant l'abstraction à la figuration, associant un certain réalisme fragmenté aux images subconscientes et aux rêves, et ayant la particularité de rester parfaitement ouvertes.
Julien Carreyn a notamment participé à des expositions à la Fondation d'Entreprise Ricard à Paris (Une Expédition, commissariat de Stéphane Calais, 2009), au Mac/Val de Vitry-sur-Seine (collection du FRAC Ile-de-France, 2008) et au
Cneai de Chatou (Salons boudoirs et antichambres, 2002). Il a publié plusieurs livres d'artistes, dont
Les Demoiselles de Vienne en collaboration avec Pierre La Police (Editions Cornélius, Paris, 2008).