Une étude ethnologique de la sorcellerie en Afrique de l'Ouest, s'appuyant sur des enquêtes de terrain réalisées dans cinq pays entre 1994 et 2000. David Signer y décrit la sorcellerie comme un système de croyances à l'impact social réel, qui imprègne la politique mais surtout l'économie, et dont la fonction hautement normative et conservatrice empêche efficacement le développement de la société et de l'individu africains.
En octobre 1994, à Man, une ville de l'ouest de la Côte d'Ivoire, j'ai eu une conversation révélatrice avec un jeune homme du nom de Jean-Claude.
- La sorcellerie, me disait-il, est le plus grand obstacle au développement de l'Afrique.
Je demandai :
- Que veux-tu dire ? La sorcellerie ou la croyance en la sorcellerie ?
- La sorcellerie… la sorcellerie est une réalité. Dès que quelqu'un s'élève, a du succès, est supérieur à la moyenne, il risque toujours d'être ensorcelé. La jalousie est présente partout. Elle conduit à la peur, au découragement, à la paralysie de chaque initiative. Les sorciers « mangent » de préférence ceux qui ont du succès, les diplômés, les étudiants, les jeunes talents prometteurs… ayant une nette prédilection pour un membre de leur propre famille. Ils se le partagent et, la fois suivante, c'est à un autre d'offrir quelqu'un de son entourage. Et ainsi de suite. Si, une fois, tu partages le repas, tu as une dette. Si tu ne sacrifies pas l'un des tiens, c'est sur toi que cela retombe.
Mariette Althaus est née en 1945 à Vallorbe (Vaud). Journaliste spécialisée dans les beaux-arts, a collaboré avec Harald Szeemann et Jean-Christophe Ammann ainsi que divers artistes contemporains. Photographe au long cours au Moyen-Orient et en Afrique de l'Ouest, traductrice passionnée.
David Signer est né en 1964 à Saint-Gall (Suisse). Il a conclu ses études d'ethnologie, de psychologie et de linguistique faites à Zurich et Jérusalem par un doctorat de l'Université de Zurich où il a ensuite enseigné quelques années. De 1997 à 2000, David Signer a conduit une enquête de terrain sur la sorcellerie dans divers pays de l'Afrique de l'Ouest. Il a publié plusieurs ouvrages scientifiques et littéraires. Il vit actuellement à Dakar (Sénégal) en tant que correspondant pour l'Afrique, du quotidien zurichois NZZ.
Traduit de l'allemand par
Mariette Althaus (titre original : Die ökonomie der Hexerei oder Warum es in Afrika keine Wolkenkratzer gibt, Edition Trickster im Peter Hammer Verlag, 2004).