Première traduction française du recueil de poèmes qui révéla la poétesse catalane « trois fois rebelle ». Écrit lors de la transition démocratique après la mort de Franco, cette autobiographie symbolique démontre l'importance de Marçal dans la défense des voix des femmes et de la langue catalane.
Cau de llunes, récompensé par le prix Carles Riba en décembre 1976, révèle Maria-Mercè Marçal, qui vient d'avoir 24 ans. Ce livre rassemble les poèmes écrits depuis ses 21 ans, comme nous l'informe l'édition de ses œuvres complètes publiées de son vivant sous le titre
Llengua Abolida. La femme de basse classe et de nation soumise qu'on découvre à travers la « Divisa » (« Devise ») laquelle devint sa carte d'identité, était professeure de catalan au lycée de Sant Boi de Llobregat, dans ce lieu qu'on appelait le « Cinturo roig de Barcelona » (« Ceinture rouge de Barcelone »).
Quarante ans après la remise du prix, la traduction en français est prise en charge par quelqu'un, une femme, poète aussi, qui a senti l'écho des mots et des expériences vécues avec la fraîcheur renouvelée d'une lecture faite avec des yeux nouveaux et avec d'autres expériences. Il est vrai que nous sommes loin déjà de la nuit du franquisme. La lutte d'une nation soumise en est à une autre étape.
Nous ne saluons pas le début du féminisme, étant bien dans un autre monde avec une autre conscience de femme, dans un autre pays, un autre monde. Le « dur desig eluardià » (« le dur désir » éluardien) de durer qu'évoquait Marçal, n'était pas vraiment celui de passer à la postérité, mais plutôt le désir que les mots continuent de créer de nouvelles significations et c'est justement cela que nous voyons arriver, arriver et arriver sans cesse dans l'œuvre de Marçal. Que pouvons-nous saisir en 2016 de la poésie de
Cau de llunes ?
Anna Serra en a saisit la magie du langage qui évoque une tradition qui peut-être n'a jamais été, qu'en tout cas Marçal construit pour libérer le corps et la vie de la tyrannie, de toutes les tyrannies, de la négociation avec sa propre langue, de la soumission et de l'aliénation. Pour que tout ceci puisse retourner vivre quarante ans après, après l'année 1976.
Fina Llorca, extrait de la préface : «
Cau de llunes, 40 ans après, en français ».
Maria-Mercè Marçal de son vrai nom Maria-Mercè Marçal i Serra est née en 1952 au Pla d'Urgell et décédée en 1998 à Barcelone. Elle est une des
poètes catalanes les plus connues de la deuxième moitié du XXe siècle. Elle est l'auteure de plus d'une dizaine d'ouvrages, dont un unique roman largement primé
La passion selon Renée Vivien et une anthologie qui regroupent des poètes catalanes du XXe siècle. Diplômée de philologie classique, elle est enseignante de langue et littérature catalanes et traduit en catalan Yourcenar, Sagan, Colette, Akhmàtova et d'autres. C'est pendant la période de transition qui va de la fin du franquisme au début de la démocratie que Maria Mercè Marçal commence à écrire. Elle est une militante
féministe engagée contre le franquisme au sein de l'Assemblée de Catalogne puis d'un parti de gauche.
Cau de llunes, premier recueil publié en 1977, montre d'emblée l'importance que peut avoir pour Marçal la défense de la voix des femmes tout autant que de la langue catalane. Dans ce recueil elle exprime aussi sa révolte contre les abus du pouvoir avec un texte qui raille le dictateur Pinochet (« Malediccio amb estrella », dans
Cau de Llunes) ou les violences du pistolérisme à travers un texte qui rend hommage à Francesc Layret. Marçal tient en outre à attirer notre attention sur l'œuvre de plusieurs poètes (Clementina Arderiu, Felicia Fuster, Maria Antonia Salva, Rosa Leveroni, Sylvia Plath, etc.) bien trop méconnues, sur des auteurs qui l'ont marquée comme Federico Garcia Lorca mais aussi sur le vivier de la littérature populaire que sa mère lui a transmis oralement.
Ainsi, on retrouve tout au long de son œuvre les apports de la tradition orale de la chanson populaire,
del cançoner popular, qu'elle partage avec l'auteur Joan Brossa.
Elle n'hésite pas non plus à reprendre les formes fixes de l'ode saphique, de la sextine ou encore du sonnet et d'autres formes issues directement de la poésie troubadouresque du XVe siècle et du XVIe siècle, ce qui explique par exemple qu'elle conserve le mot amour au féminin. Ces formes deviennent pour la poète le canon idéal de l'expression de thèmes inédits comme l'<
homosexualité féminine (
Terra de Mai, 1982, en référence à son amie du même nom). Son œuvre est connue en France à travers la publication d'une anthologie aux éditions Bruno Doucey publiée en 2013, et qui reprend en titre la devise de Maria Mercè Marçal :
Trois fois rebelle.