Sans doute faut-il s'affranchir de cette image rêvée d'un socialisme rêveur, selon une légende forgée notamment par
Marx et Engels. Car, loin de se vouloir les hoplites de l'utopie, c'est en combattants de la Science que les premiers socialistes français,
Fourier et Saint-Simon en tête, se présentent souvent. Pour prendre la mesure de cette ambition, cette
épistémologie du socialisme entend réinscrire leurs œuvres dans les sciences naturelles de leur temps. C'est la vie, la vie avant tout que ces théoriciens étudient passionnément. C'est elle qu'ils veulent défendre en déchiffrant les
hiéroglyphes qui en disent la vérité. La vie de l'
esprit, hanté par le doute, et qui attend l'étoile du salut, la doctrine nouvelle qui doit guider les hommes après la mort des vieux dogmes. La vie du
corps surtout, alors que le déchaînement de l'industrie brise les êtres, que les suicides, les crimes et la faim se font les choléras d'un monde qui finit. Ces penseurs partent de cette vie, menacée dans sa racine, pour faire sortir des eaux un ordre nouveau. Ils se mettent à l'écoute des savoirs de l'humain : anthropologie, phrénologie, ethnologie... La science de l'homme éclaire la Science sociale en édifiant un corps social modelé sur le corps humain, qui puisse satisfaire tous ses besoins et épanouir tous ses possibles. Elle annonce aussi une humanité libérée de ses chaînes, un corps humanitaire enfanté par le croisement des races. Cette vie révélée n'est-elle pas la forme visible de son Créateur ? Et le socialisme qui en dévoile les règles n'est-il pas religieux dans la mesure même où il se veut savant ? Science
re-liant l'anatomie des individus et des peuples, science
re-liant les consciences sous la loi divine : telles sont la chair et l'âme de ce
bio-socialisme. Il répond aux espérances d'un siècle qui cherche dans la tempête une nouvelle arche d'alliance.
Docteur en histoire, Loïc Rignol est chercheur associé au laboratoire Logiques de l'Agir (E.A. 2274) de l'université de Franche-Comté.