La dixième et dernière anthologie de Blank Forms offre un aperçu approfondi de l'œuvre idiosyncrasique d'Éliane Radigue, pionnière française de la musique concrète et de la composition électroacoustique, à travers des textes clés, des documents primaires nouvellement traduits, des entretiens au long cours et des essais de commande.
Ce volume explore les premières œuvres électroniques de la compositrice française Éliane Radigue, dont l'approche radicale du feedback, de la synthèse analogique et de la composition sur bande a longtemps résisté à l'interprétation historique et technique. Combinant des textes clés, des documents primaires nouvellement traduits, des entretiens approfondis et des essais de commande, ce recueil interroge la pratique compositionnelle idiosyncrasique de la compositrice, qui englobe et confronte en même temps la nature itérative de la bande magnétique, les subtilités de l'amplification et l'expérience même de l'écoute.
Parmi ces contributions, le violoncelliste
Charles Curtis, proche collaborateur de Radigue, présente un aperçu approfondi des premières expériences de la compositrice avec les techniques de feedback et la synthèse analogique, de son évolution vers la composition pour des instruments non amplifiés et des interprètes en direct, ainsi que de ses conceptions esthétiques uniques du temps et de la présence. Un certain nombre de conversations détaillées entre la compositrice et les chercheurs Georges Haessig, Patrick de Haas, Ian Nagoski et Bernard Girard fournissent des informations cruciales sur ses méthodes de travail à différents moments de sa carrière. Dagmar Schwerk, spécialiste des sciences religieuses, se penche sur
Kyema, l'œuvre de Radigue réalisée en 1988 à l'aide d'un synthétiseur, dans le contexte de la pensée bouddhiste tibétaine et de son histoire, tandis que les textes des musiciens Daniel Silliman et Madison Greenstone examinent, de manière sensiblement différente, les caractéristiques techniques de la pratique sonore de Radigue. Des esquisses d'œuvres non réalisées, des critiques contemporaines, des programmes de concert et d'autres documents permettant de retracer l'histoire de l'interprétation des premières œuvres de Radigue sont présentés ensemble pour la première fois. L'anthologie se termine par une table ronde entre Curtis, Greenstone et Anthony Vine, qui démêle le nœud de paradoxes au centre de la pratique artistique de Radigue pour retracer le fil de son « ethos de résistance ».
La revue de
Blank Forms constitue une plate-forme de réflexion critique et de dialogue ouvert entre chercheurs, artistes et autres personnalités du monde de la
musique expérimentale et des arts, publiant deux fois par an des textes d'archive, inédits ou nouvellement traduits.
Éliane Radigue (née en 1932 à Paris) peut être considérée comme l'une des compositrices contemporaines les plus innovatrices, originales et inspirantes, depuis ses œuvres musicales électroniques pionnières à la fin des années 1960 jusqu'au travail acoustique développé avec les sons d'instruments classiques depuis les années 2000. Influencé par la musique concrète (Éliane Radigue fut élève de
Pierre Schaeffer puis assistante de
Pierre Henry), le minimalisme américain et le bouddhisme, formé par des séjours réguliers aux États-Unis où elle découvre les synthétiseurs analogiques, son travail déploie une intensité à la fois monumentale et fragile. La musique d'Éliane Radigue est délicate, calme, lente, à la limite de l'immobilité. Elle a pour caractéristiques un son continu et un volume plutôt bas, le silence constituant le point de départ du son. Les pièces sont longues, les développements microscopiques des interactions subtiles entre les phénomènes (les microbattements naturels entre les fréquences qui remplacent la rythmique ou autres formes traditionnelles d'organisation sonore) s'inscrivant dans une temporalité propre.
Grâce à ses réflexions profondes sur la vie intérieure du son, l'écoute et les mécanismes de perception auditive, c'est non seulement sa musique,
mais aussi ses méthodes de travail méticuleuses (consistant majoritairement à enregistrer et à mixer sur bandes magnétiques des sons produits par synthétiseur modulaire), qui ont forgé un ensemble de nouveaux paramètres pour travailler le son en tant que matériau musical. Éliane Radigue s'est vue décerner le Giga-Hertz-Preis 2019 pour son œuvre de « visionnaire de la musique électronique ».