Un dialogue entre les œuvres du grand couturier Azzedine Alaïa et de Shiro Kuramata, pionnier du design postmoderne au Japon.
Les œuvres de Shiro Kuramata sont imprégnées à la fois de l'histoire ancienne et fascinante des arts décoratifs japonais et de la demande moderne de simplicité japonaise et de pureté structurelle qui a fortement influencé le dogme « la forme suit la fonction ». Plus que les pièces elles-mêmes, ce sont leurs histoires qui importent, unies par le fil continu de la non-matérialisation. « Mon désir le plus fort est de me sentir libre de toute pesanteur, de tout lien. Je veux flotter », déclare Shiro Kuramata, et cette approche imprègne l'ensemble de son travail d'une sorte de quête spirituelle. Les tentatives de Shiro Kuramata pour défier la gravité trouvent une expression formelle dans des matériaux transparents tels que le verre, l'acrylique et les mailles métalliques, ainsi que dans son expérimentation de l'incorporation de la lumière. En utilisant ces matériaux, il explore les liens entre la légèreté et la gravité, entre la matière et la non-matière. Ces relations vibrent dans son dessin, et produisent une atmosphère calme et contemplative d'une douce humanité esthétique, reconnue comme une poésie raffinée.
Admirateur inconditionnel, le couturier Azzedine Alaïa avait de son vivant en 2005 consacré une exposition en ces lieux à Shiro Kuramata, disparu en 1991. Vingt années plus tard et pour la première fois, la Fondation Azzedine Alaïa a souhaité de nouveau célébrer l'un des plus grands designers de son temps en associant un choix rigoureux de robes et de créations de mode du couturier. Réunis selon des impressions de matériaux, de formes ou d'esprits communs, la maille lurex d'une robe épurée répond au métal tricoté d'une assise, l'acrylique transparent d'une étagère dédale, résonne dans les mousselines arachnéennes d'un modèle haute couture.
Plus de vingt pièces de mobilier et objets d'exception de Shiro Kuramata (1934-91) sont présentées. En regard, près de vingt créations haute couture d'Azzedine Alaïa entretiennent la poésie des formes, la radicalité d'une coupe, le choix subtil d'une couleur, le raffinement des transparences. D'une infinie légèreté les œuvres réunies face à face affirment les volontés d'abstraction communes qui n'avaient rien de virtuel.
Toutes les créations et les œuvres présentées de Shiro Kuramata et de Azzedine Alaïa sont issues des collections de la fondation Azzedine Alaïa.
Publié à l'occasion de l'exposition éponyme à la Fondation Azzedine Alaïa, Paris, en 2024-2026.
Azzedine Alaïa (1935-2017) est un styliste et grand couturier franco-tunisien, internationalement reconnu pour ses robes sculpturales.
Figure-clef du design postmoderne japonais, Shiro Kuramata (1934-1991) fait partie d'une génération de designers brillants qui a révolutionné le design d'après-guerre. Qualifié de minimal, son design est bien plus complexe et joue sur les oxymores.
Shiro Kuramata grandit à Tokyo au sein même des espaces de logement de l'entreprise située dans les locaux de l'Institut de Recherche Physique où travaille son père. Au contact d'un maître charpentier, Monsieur Seta et de son atelier situé à deux pas de chez lui, Shiro Kuramata nourrit le vœu de devenir architecte. A l'issue d'un apprentissage dans un lycée technique, il obtient en 1956 le diplôme de la « Kuwasa design school ». Il y reçoit un enseignement spécialisé dans le design et particulièrement celui d'intérieur.
Shiro Kuramata débute sa carrière en concevant des intérieurs de manière indépendante et sous contrat avec le grand magasin Matsuya à Ginza, Tokyo. En Novembre 1965, il créé sa propre agence, le « Kuramata Design Office ». « Pyramide furniture » en 1968 est une forme variable que Shiro Kuramata conçoit à partir d'un éventail de tiroirs empilés et mobiles. Pièce maîtresse dans son œuvre, elle préfigure le design des années 1980. Dès 1969, lorsque Shiro Kuramata installe des piliers de lumières traversant du sol au plafond les espaces showroom de la compagnie Edward, la lumière devient un élément fondamental dans son travail et la conception des objets.
Dans ses premiers travaux, il est déjà possible d'observer des mots clés qui reviendront sans cesse pour définir ses travaux ultérieurs, à savoir « transparence », « légèreté », « tiroir » et « humour ». Fasciné par les possibilités révolutionnaires offertes par les nouvelles technologies et les matériaux industriels dans les années 1970 et 1980, Shiro Kuramata concentre sa création et sa production vers les objets en acrylique, verre, aluminium et treillis d'acier qui défient les lois de la gravité et les techniques d'assemblage, et libère des formes d'une infinie légèreté.
En 1972, il reçoit le « Prix Mainichi du design Industriel ». La même année il conçoit la lame « Oba-Q » sous la
forme d'un drapé figé de lumière. En 1976 il conçoit la plus emblématique de ses œuvres : « Glass chair » composée de feuilles de verres assemblées.Shiro Kuramata reçoit le « Japan Cultural Design Award » en 1981. Il puise son inspiration dans la culture japonaise et dans la créativité du
groupe Memphis auquel il est associé de 1981 à 1983 sur une invitation d'
Ettore Sottsass devenu un indéfectible ami. En 1986, « How high is the moon » est un fauteuil en maille d'acier devenue icône du XXe siècle. En 1988, sa chaise « Miss blanche » tient son nom du personnage du film « Un tramway nommé désir ». Des roses sont figées dans l'acrylique, symbole de la fuite du temps arrêté un instant. A son sujet Shiro Kuramata dira : « L'une des inspirations dès le départ pour produire cette chaise était l'envie de la présenter à Paris. Je pense qu'il y avait une sorte d'anticipation, ou une partie de moi qui sentait que cela serait mieux compris en France, et plus particulièrement à Paris ». Inspiré par les mêmes principes créatifs que son mobilier, il travaille à l'architecture intérieure des boutiques de Issey Miyake notamment à New York, Paris et Tokyo. En 1990, le gouvernement français lui décerne la médaille de l'Ordre des Arts et Lettres.