Un dialogue entre deux couturiers sculpteurs de robes qui ont, chacun à leur manière, fortement influencé le monde de la création, entre art et haute couture.
Silencieuse et secrète, déterminée jusqu'à la réclusion d'une vie tout entière passée à l'atelier, Madame Grès se voulait sculptrice. Tout à son œuvre concentré, avec l'obstination des maîtres infatigables, se refusant aux excès médiatiques de sa profession, Azzedine Alaïa avait de même étudié la sculpture à l'école des Beaux-Arts de Tunis. Cette ambition partagée ne fut pas corrompue par les métiers de la couture auxquels ils se consacrèrent avec tant de singularité et de succès. Elle vint magnifier au contraire l'exercice du drapé pour l'une, celle de la coupe pour le second au point de les situer comme les fils à plomb de l'histoire de la mode.
Si rien ne peut attester que les deux couturiers se sont croisés, leurs créations se sont rencontrées à n'en point douter. Apôtres d'une certaine forme de dépouillement, les créations de Grès ou d'Alaïa, d'une apparente simplicité dissimulent une complexité extrême parfois de coupe et de conception. Guidés par le tissu qui gouverne leurs dessins et leurs choix, recueillis des semaines durant dans la décision d'un volume de robe à couper, assurés dans l'élection des couleurs monochromes, du noir intense et du blanc plâtre favoris, les deux couturiers ont épousé une communauté de création et d'esprit.
Les drapés que Grès avait érigés en art total depuis les années 1930 s'incarnent dans les robes longues, fluides et plissées d'Alaïa. Le jersey adoubé par la première se traduit en maille et en matériaux souples chez le second. L'exigence des proportions, la rigueur de la coupe qu'il s'agisse de modèles pour le soir ou pour le jour les unit.
« Dès que l'on a trouvé quelque chose de caractère personnel et unique, avouait Madame Grès, il faut l'exploiter à fond et en poursuivre la réalisation sans s'arrêter et jusqu'au bout ». À cela, Alaïa répondait des années plus tard : « Lorsqu'une idée s'impose à soi, il faut s'en saisir au lasso, tourner autour et ne pas en déroger ».
Ce catalogue paraît à l'occasion d'une exposition inédite associant les œuvres de Madame Grès et celles de Alaïa. Fédérées selon leur principe formel, leurs recherches de coupe, les accords de tissus ou de couleurs qu'elles embrassent communément, les robes du soir ou de jour des deux couturiers convient le visiteur à une leçon au-delà des modes. Intemporelles pour l'une, hors du temps pour l'autre, les créations exposées au nombre de 60 restituent le dialogue de Grès et Alaïa, deux obstinés solitaires devenus sculpteurs de robes.
Publié à l'occasion de l'exposition éponyme à la Fondation Azzedine Alaïa, Paris, en 2023-204.
Egalement disponible en
édition anglaise.
Azzedine Alaïa (1935-2017) est un styliste et grand couturier franco-tunisien, internationalement reconnu pour ses robes sculpturales.
Madame Grès, de son vrai nom Germaine Krebs (1903-1993), est une grande couturière, créatrice de haute couture. Elle
a commencé à travailler dans les années 1930 sous le nom d'« Alix ». En 1933, rue de Miromesnil à Paris, elle s'associa à Julie Barton pour ouvrir la maison Alix Barton qui devint Maison Alix en 1934, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Son style caractérisé par les drapés d'inspiration antique et les lignes pures lui a valu une renommée internationale. Plusieurs expositions monographiques lui ont été consacrées, au Metropolitan Museum of Art de New York (1994), au Musée de Bourgoin-Jallieu (2003), au Musée Bourdelle (2011) et au Musée de la Mode (MoMu) d'Anvers (2012).