L'écrivain Yoann Thommerel s'empare des codes de la notation auxquels nous sommes désormais soumis pour les moindres de nos gestes quotidiens (restauration, déplacements en Uber, location Airbnb, soins dentaires, etc.), pour les détourner, les déconstruire et en faire la base de commentaires culinaires résolument digressifs, entre diary orienté gastronomie et réinvention décomplexée d'un guide Gault & Millau débarrassé de sa logique prescriptive.
Cinquième ouvrage de la collection « Fraîches Fictions », Écrire un avis dessine le mapping d'une France inégalitaire où la créativité et la générosité s'expriment souvent davantage dans un kebab de quartier que dans un café chic parisien, dans une pizzeria au fin fond de la pampa que dans un restaurant huppé de la côte normande.
Le texte est composé d'une centaine d'entrées allant de la sentence choc qui cloue définitivement la victime au pilori de la bad notation, aux développements beaucoup plus étoffés qui tiennent plus du journal intime où l'auteur se livre à des réflexions personnelles qui dépassent largement le cadre de l'avis. Cette alternance de bonnes et mauvaises expériences structure un ouvrage enjoué et sert de prétexte à de longues digressions de tous ordres. Quand bien même nous ne l'ignorions pas, le moment du repas, qu'il soit pris chez soi ou en dehors, est symptomatique de notre rapport au temps présent, l'attention que nous accordons aux mets qui défilent devant nos yeux et finissent dans notre estomac est révélatrice de la manière dont nous consommons, que ce soit les aliments ou les boissons, mais aussi les instants ou les lieux. Derrière l'humour souvent grinçant qui enrobe ces avis se dégage une critique acerbe de la malbouffe et du système qui la génère.
En bon sociologue, l'auteur décortique avec délectation tous les gestes qui accompagnent le passage des plats, il sait décrypter la générosité d'une cuisine populaire derrière les à peu près orthographiques, mais n'est pas dupe de la grandiloquence d'un menu qui coïncide trop peu souvent avec les promesses qu'il affiche. L'auteur, on le devine, est un vrai amoureux de la bouffe pour qui un repas réussi tient d'une rareté qui confine à la magie, les bons repas venant clore en beauté une séquence de vie positive lorsqu'une mauvaise bouffe accentue le désarroi d'un passage à vide. Vie et bouffe s'entremêlent dans une espèce de chassé-croisé existentiel.
Il existe aussi, dans Écrire un avis, une volonté de célébrer une cuisine insuffisamment mise en avant, celle des kebabs ou autres tacos que les fans de fooding ont tendance à délaisser au profit de spécialités plus franchouillardes. Selon l'auteur, qui habite une rue très animée de la banlieue parisienne, un chawarma aux falafels bien composé peut largement valoir une entrecôte-frites sans inspiration, et un bo bun bien fourni un sandwich au homard hors de prix dans un café chic à Opéra.
Poète engagé dans le champ de la performance et de la poésie-action, Yoann Thommerel met en jeu ses propres textes dans des formes convoquant aussi bien les arts vivants que visuels.
Dans le cadre d'une résidence aux
Laboratoires d'Aubervilliers en 2016, il fonde avec
Sonia Chiambretto le
Groupe d'information sur les ghettos (
g.i.g) qui crée des espaces fictionnels poétiques et frontalement politiques interrogeant les mécanismes d'exclusion et de repli : publications, installations, vidéos, performances…
Metteur en scène, il a créé la compagnie Le Premier épisode et signé avec Sonia Chiambretto la mise en scène de trois spectacles depuis 2021.
Il publie dans des revues et des fanzines (
Sabir,
Véhicule,
Muscles,
If,
Cockpit,
Writers2Cuisine…) et anime régulièrement des ateliers d'écriture et workshops au sein d'universités, théâtres et écoles d'art.
Parmi ses publications :
Mon Corps n'obéit plus (Nous, 2017),
Bandes parallèles (Les Solitaires intempestifs, 2018),
À la française (Galerie Duchamp, 2020).