Cinéaste – réalisateur, scénariste et monteur –, écrivain et dessinateur, Ahmed Bouanani (1938-2011) est une figure majeure de la vie intellectuelle et artistique
marocaine. Il aura défendu une pratique des arts sans égards aux hiérarchies entre les genres. Ni art majeur ni art mineur, mais le règne sans ambages du savoir-faire des peuples. Dans cette vision englobante du métier d'artiste, toutes les disciplines de Ahmed Bouanani se nourrissent les unes des autres, animées par un projet holiste : réinventer les pratiques collectives et les formes (montage, bande-son, onirisme) et, par tant, faire œuvre de passeur de patrimoine et de mémoire. Monteur sans pareil au cinéma, Bouanani l'est aussi dans sa littérature où il a « élevé l'esthétique du montage à une éthique de la résistance face à la dépossession » (Omar Berrada). Dans sa dramaturgie, cette caractéristique n'est donc pas en reste. Ses œuvres traitent de la responsabilité de l'écrivain face au délitement de la mémoire collective, à une époque qui ne promet qu'amnésie et mort du rêve. L'auteur y peuple ses univers de personnages réels ou imaginaires (écrivain, journaliste, anges et ogres) pour inviter le lecteur, non sans humour, à circuler entre les référents. Pour Bouanani, face à l'amnésie, la question n'est pas de préserver la mémoire, mais de la reconstituer par-delà ses pièges ; de recréer un sens nouveau à partir de fragment épars. On retrouve ses thèmes centraux de sa littérature : la disparition de la réalité, la déréalisation du monde, le rôle de l'écrivain pris entre les impuissances de la mémoire subjective et les porosités de la mémoire collective.