Un livre-film. Un livre-chorus. Un livre à lire à plusieurs mains. Une succession d'arrêts sur image : le ciel ou le nuage, l'île ou l'amour. Une kyrielle de deux mille films pour résumer le cinéma. Avant et après.
Les nuages changent. La lune filtre par l'entrebâillement des portes. Le battement creuse l'attention d'une intermittence. Brûler d'un feu autre que le besoin que la saturation éteint. Se souvenir de tous les films vus pour retrouver – dans l'intervalle – le mouvement. Ozu impromptu et arrêt-Marey. L'image frappe l'écran entre deux imperceptibles absences. Nul homme n'est une île.
« Le livre d'Emma Fructidor est compact, d'une masse dense en main, avec léger reflet métallique. Plutôt que la blancheur habituelle des pages de garde, l'ouverture et la fermeture exposent des images doucement imprégnées dans le coton du papier, qui, en allant vers le centre du volume, s'égrainent sur les côtés. Comme si les photogrammes tirés de films étaient venus remplir les perforations d'une pellicule cinématographique. Comme si le livre était un film. Et, de fait, le texte s'y déroule selon des rubans parallèles continus ou discontinus, alors que le titre-courant file tel les sous-titres d'un film. Les motifs du ciel, des nuages, de l'île, de l'amour sont lentement déclinés en parcourant l'histoire et la géographie. Comme au cinéma, le mouvement n'est qu'une succession de pauses. [...] À la fin, on ne sait si l'on a déployé une vie singulière, ou si l'on a traversé un siècle de cinéma. On hésite entre “Emma c'est moi”, ou “je est un autre”... » (Ann S. Feing, Celluloïd Mag, 2015)
« J'ai juste lu les sous-titres. » (une relectrice, 2015)
« “Comment enchaîner” sur une phrase, comment enchaîner sur une œuvre ? Telle était la question que posait naguère Jean-François Lyotard. Le livre M.A. tente d'y répondre d'une étrange manière. Non pas philosophiquement, mais, pour reprendre un terme lui aussi lyotardien, dans son dispositif même. L'idéogramme japonais “ma” du titre pourrait faire aussi un écho au sanscrit mat (de matière à matrice) qui formait l'appareillage à l'exposition Les Immatériaux au Centre Pompidou en 1985. Ici, quelqu'un tente de se souvenir de tous les films qu'elle ou il a vu dans sa vie, et les enchaîne comme une kyrielle. S'y interpolent des propos sur le cinéma dont on ne sait s'ils s'enchaînent aux œuvres citées ou poursuivent leur cours, malgré l'intermittence de la barre noire. Un chapitre enchaîne des citations tombées du ciel, un autre enchaîne des passages entre les îles, qui alternent avec des fragments amoureux. Les images elles-mêmes sont des photogrammes qui, s'enchaînant, scandent le déroulement des œuvres (films ou vidéos) d'où “arrive” le livre, telle une phrase dépliée. » (Nicolas Exertier, Cita-Cité, 2015)
« C'est vraiment intéressant en pdf. » (Raphaël Brobst, Les presses du réel, 2015)
« Why make books anymore? Si c'est pour être lu ou vu, n'importe quel blog ou réseau social fera l'affaire. Un livre doit donc être un objet qui résiste à la lecture, une compilation dense de données extraites d'autres livres selon une contrainte rigoureuse et dans le désordre le plus grand pour le lecteur. Homogène au code informatique, la masse typographique est à la fois binaire et sans espacement. Le travail de l'auteur est parfaitement non-créatif : il écrit à la main mais pense comme une machine. [...] Je viens de tomber sur un livre qui suit ce programme à la lettre : M.A. d'Emma Fructidor. » (Kenneth Goldsmith, Ubu-Web, 2015)
« Voilà un ouvrage qui semble semble célébrer le cinématographe en sa cent-vingtième année : de L'Arroseur arrosé à Birdman, une anthologie marabout-de-ficelle énumère 1905 films entre 1895 et 2014, films de tous continents et de tous genres, de l'underground à Hollywood. Sauf qu'ici, il n'est ni “cinéma” ni même “ciné”, il est juste “ma”. Cette réduction au caractère nippon désignant un intervalle (temps/espace) situe sans doute l'entreprise en-deçà et au-delà du cinéma. En-deçà, car le livre s'ouvre par la première photographie de Nièpce, et répètera à l'envi la pause de l'exposition chimique ; au-delà, car la cinématique est poussée jusqu'au dispositif de capture du mouvement ou du volume, par le “tranchage” digital du réel. C'est dans cette intermittence qu'il faut reprendre, telle une rumeur, la pensée que le cinéma a pu susciter. » (Pascal Beausse, Letter from Onomichi, 2015)
Emma Fructidor est apparue juste avant la fin du XXe siècle, dans la ville de l'inventeur de la photographie, et s'est discrètement fait remarquer par diverses aventures dans l'image, le son et le mouvement : films à lectures aléatoires, appareil donnant une forme à son passage dans le temps, haptomat, versatile display, corps interactifs, bandes passantes, écologies urbaines, performances et éditions...
M.A. est le nouvel opus
Made in Ema, pour servir de compagnon aux archives de la
MMM-Box, parues en 2012.
M.A. est le quatrième tome de L'éditome [dp], après
Dummy Airbag Test en 1997,
Ton OEil Ardent en 1998, et
Du Temps du Thé en 1999.
Dominique Pasqualini procède en 1978 à sa première réalisation,
Savoir y voir ça, film 16 mm sonore en noir et blanc, puis
participe à l'aventure de la radio libre Radio Nova en 1980, avant de configurer avec Jean François Brun en 1984 l'agence de l'art
Information Fiction Publicité (IFP), qui se manifeste aux États-Unis, en Europe et au Japon jusqu'à la veille du XXIe siècle. Il crée l'École Média Art – Ema Fructidor – à Chalon-sur-Saône en 1999 et la plateforme
Motion Method Memory en 2003. Il joue dans le groupe de rock harmolodique
HMMM.
Dominique Pasqualini dirige l'école des Beaux-Arts de Bordeaux depuis 2017.