Comment expliquer le croisement, au cours du XXe siècle, de l'idéologie et des théories sur la violence et la créativité ? Mark Antliff examine la rencontre entre esthétique et violence en étudiant le rôle peu connu mais essentiel joué par les théories sur les arts visuels et la créativité dans le développement du fascisme en France.
Mark Antliff se penche sur la dimension esthétique des mythes fascistes dans le cadre de l'histoire de l'avant-garde. Au cours de la période 1909-1939, un nombre surprenant de modernistes ont été impliqués dans le projet, notamment des figures aussi importantes que le peintre symboliste Maurice Denis, les architectes
Le Corbusier et Auguste Perret, les sculpteurs Charles Despiau et Aristide Maillol, la photographe de la « Nouvelle Vision » Germaine Krull, ainsi que le fauve Maurice de Vlaminck.
Les fascistes français étudiés ici se sont approprié, entre autres, l'esthétique avantgardiste du cubisme, du futurisme et du surréalisme, en prônant le fameux « retour à l'ordre » et l'un d'entre eux, est même allé jusqu'à rapprocher le « dynamisme » de l'idéologie fasciste de la théorie du montage du cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein. Pour tous ces personnages, l'art moderne est le précurseur mythique d'une révolution régénératrice destinée à balayer les institutions en place, inaugurer un nouvel ordre anticapitaliste et éveiller le potentiel créateur et artistique du « nouvel homme » fasciste. Pour définir la matrice idéologique mêlant esthétique et violence, ils s'inspirent avant tout des écrits du théoricien politique Georges Sorel (1847-1922), dont le concept de mythe révolutionnaire occupe une place centrale dans les théories fascistes sur la régénération culturelle et nationale.
Trois figures sont plus particulièrement influencées par cette théorie sorélienne du mythe dans l'entre-deux-guerres : Georges Valois (1878-1945), Philippe Lamour (1903-1992) et Thierry Maulnier (1909-1988). Valois est le fondateur du Faisceau, premier mouvement fasciste français (1925-1928). Lamour, proche de Valois, crée en 1928 l'éphémère Parti fasciste révolutionnaire, avant de lancer deux revues,
Grand' Route (1930) et
Plans (1931-1933). Quant à Maulnier, il est l'inventeur d'une théorie du fascisme sous les auspices des revues
Combat (1936-1939) et
Insurgé (1937). Tous trois se réclament à la fois de Sorel et de l'avant-garde artistique, mais développent des formes radicalement différentes de fascisme. À l'instar de Sorel, ils considèrent que l'art et la culture font partie intégrante de la théorie de la révolution totale.