Julien Carreyn photographie des modèles féminins qu'il fait poser dans des intérieurs saturés d'objets à haute valeur culturelle et symbolique, puis reproduit minutieusement les images par le biais de techniques d'impression obsolètes, de dessins ou dans des collages surréalistes assemblés en séries, créant des atmosphères mystérieuses et fantasmatiques, d'un érotisme candide, désuet et troublant.
Ce livre d'artiste documente un étrange « atelier » sensuel réalisé dans un territoire réduit à l'espace d'appartements de location.
Les deux livres de Julien Carreyn publiés en 2014,
Saint-Maur et
L'atelier des filles, se conçoivent comme des « bilans » selon les mots de l'artiste, comme une documentation de séries passées, qui correspondent chacune à une exploration d'un nouveau territoire. Julien Carreyn, ces cinq dernières années, a investi plusieurs champs thématiques, en fonction de l'environnement de travail géographique, topograpique presque, qui a été le sien. Les livres sont ainsi reliés les uns aux autres et même si les formats diffèrent, les ouvrages recoupent un ensemble de choix physiques identiques : le choix du papier des pages intérieures Fedrigoni, papier soulignant l'esthétique document puisque gris saturé, accompagné d'une photogravure très subtile, apportant une vitalité aux images sans toutefois les contracter : pas de noir au delà de 90 %, homogénéité du traitement des noir et blanc, trame 130 sur tous les livres.
Saint-Maur inaugure chronologiquement cet ensemble. Il propose une immersion dans un livre très chargé, labyrinthique pour évoquer une année entière de création passée dans la maison qu'occupait Jean-François Bizot.
L'atelier des filles, qui a un format plus petit, presque comme un livre de poche, souligne l'extrême rétrécissement du territoire, limité à des appartements de location. Cette série a été initiée à Reims lors d'une résidence proposée par le FRAC Champagne-Ardenne, et se poursuit ensuite dans des appartements de location à Paris grâce à la complicité d'un agent immobilier.
Lycéen, Julien Carreyn (né en 1973 à Angers, vit et travaille à Paris) découpait des photos dans la Gazette Drouot ou dans le Courrier de l'Ouest, et il remplissait de cahiers ces images trouvées. Il les organisait en chemins de fer, méthodiquement mais spontanément, et c'était avant de connaître Hans-Peter Feldmann. DJ, quelques années plus tard, il était à la recherche de l'enchaînement le plus juste, de la séquence musicale permettant d'apporter surprise, rupture mais aussi fluidité. La cassette parfaite, c'était son obsession et celle de ses amis. Un enchaînement sonore et mental procédant de la concaténation, c'est-à-dire de l'action de mettre à bout au moins deux chaînes, AB BC CD... Lorsqu'il s'est agi de prolonger à la fois cette recherche de l'enchaînement parfait et cette quête infinie d'images, c'est-à-dire de travailler pour se constituer son iconographie, une règle s'est imposée : il devait être l'auteur de toutes ses images. La question des images trouvées et de leur usage ayant peut-être définitivement réglée par Feldmann ou
Richard Prince, il lui fallait trouver une voie qui impose une puissance créatrice, une vitalité. Quelque chose ayant à voir avec une certaine idée de l'artiste comme surhomme, qui permettrait de réconcilier, selon l'utopie nietschzéenne, le rationnel et le passionnel. Quelque chose comme un nécessaire passage à l'acte. Alors Julien Carreyn s'est appliqué avec beaucoup de persévérance, et un brin d'obsession, à produire un corpus d'images (
photos et
dessins) de plus en plus dense, explorant des territoires aussi variés que l'est sa culture transversale de l'image et qui englobe aussi la bande dessinée
érotique des années 70, les manga, l'illustration jeunesse...
A l'instar des œuvres mystérieuses du symboliste belge Fernand Khnopff – compositions peuplées de femmes hiératiques, inaccessibles et au regard trouble, ou paysages renvoyant au monde du rêve –, les images de Julien Carreyn évoquent un passé disparu, englouti dans le vague des souvenirs.
L'artiste photographie des modèles qu'il fait poser dans des intérieurs saturés d'objets à haute valeur culturelle et symbolique. S'en suit un long travail d'atelier solitaire et minutieux pour faire naître, par le biais de techniques d'impression obsolètes, des dessins et des photographies qui sont ensuite assemblés en séries et disposés sous vitrine tels des vestiges culturels.
Julien Carreyn a un désir d'imaginaire et d'esthétisme. Particulièrement intéressé par des techniques de reproduction anciennes et/ou rudimentaires, il a choisi de privilégier le dessin en tant que processus créatif pour tenter de créer un nouveau langage.
Boulimique et érudit, c'est par la fusion de références multiples qu'il produit des œuvres à l'aspect faussement désuet, mêlant l'abstraction à la figuration, associant un certain réalisme fragmenté aux images subconscientes et aux rêves, et ayant la particularité de rester parfaitement ouvertes.
Julien Carreyn a notamment participé à des expositions à la Fondation d'Entreprise Ricard à Paris (Une Expédition, commissariat de Stéphane Calais, 2009), au Mac/Val de Vitry-sur-Seine (collection du FRAC Ile-de-France, 2008) et au
Cneai de Chatou (Salons boudoirs et antichambres, 2002). Il a publié plusieurs livres d'artistes, dont
Les Demoiselles de Vienne en collaboration avec Pierre La Police (Editions Cornélius, Paris, 2008).