Abondamment illustré et riche en études d'œuvres qui en révèlent des aspects inédits, ce grand livre constitue la première enquête systématique sur la question du caractère ambigu et subjectif de l'image artistique dans l'histoire, image « potentielle » tant qu'elle n'est pas actualisée au travers de la vision active du « regardeur », dans un acte interprétatif impliquant la mémoire et l'imagination, correspondant à un mode d'expression et de communication visuelles (devenu constitutif de l'art moderne et contemporain) que l'histoire de l'art, dans son souci d'objectivité, a généralement craint d'aborder.
En 1902, Odilon Redon définissait le « sens du mystère » indispensable à l'artiste comme le fait d'« être tout le temps dans l'équivoque » en créant des « formes qui vont être, ou qui le seront selon l'état d'esprit du regardeur ». Cette théorie et la pratique qu'elle décrit sont le point de départ d'une vaste enquête dans l'histoire de l'art et des images, de leurs plus anciennes manifestations à nos jours, ainsi que d'un examen approfondi de l'art occidental à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. C'est alors, en effet, qu'a lieu un transfert d'activité et de compétence entre l'artiste et le spectateur, comme le signale le terme de « regardeur » employé par Redon, puis par Marcel Duchamp. La notion d'« image potentielle », qui désigne une image établie dans sa virtualité par l'artiste mais dépendant du regardeur pour son actualisation, correspond à cette reconnaissance du caractère actif et subjectif de la vision. Le parcours historique esquisse les fortunes changeantes du rôle attribué à l'ambiguïté visuelle dans l'art et son interprétation, mettant en évidence d'autres temps forts comme la Renaissance et le tournant de 1800. Le triomphe de la « suggestion », à l'époque du symbolisme et des avant-gardes historiques, est analysé non seulement dans les œuvres et les réflexions des artistes, mais aussi dans la « société des images » au sens large, incluant la caricature, l'imagerie ludique, le premier cinéma et même le camouflage. Il est également situé dans le contexte de développements culturels et scientifiques unis à ceux du monde artistique par des relations d'interaction, notamment la critique d'art et l'esthétique, la littérature, la psychologie de la perception et la psychopathologie. Les derniers chapitres montrent comment la réduction de la notion d'abstraction à la « non-objectivité », au cours de l'entre-deux-guerres, a occulté les usages de la polysémie iconique, avant que la remise en cause des interdits modernistes ne fasse de l'ambiguïté un critère explicite de l'œuvre d'art en tant que telle.
Abondamment illustré et riche en études d'œuvres qui en révèlent des aspects inédits, ce grand livre donne les moyens d'aborder avec rigueur un mode d'expression et de communication visuelles que l'histoire de l'art, dans son souci d'objectivité, a généralement craint d'aborder.
Professeur d'histoire de l'art à l'Université de Genève, Dario Gamboni (né en 1954 à Yverdon, Suisse) est l'auteur de très nombreuses
études sur l'art du XIXe au XXIe siècle, entre autres La Plume et le pinceau – Odilon Redon et la littérature (Les Editions de Minuit, 1989), Paul Gauguin au « centre mystérieux de la pensée » (Les presses du réel, 2013),
La destruction de l'art – Iconoclasme et vandalisme depuis la Révolution française (Les presses du réel, 2015) et Images potentielles – Ambiguïté et indétermination en art moderne (Les presses du réel, 2016). Il a collaboré à plusieurs expositions, dont Iconoclash: Beyond the Image Wars in Science, Religion, and Art (ZKM, Karlsruhe, 2002), Une image peut en cacher une autre – Arcimboldo – Dalí – Raetz (Galeries nationales
du Grand Palais, Paris, 2009) et Damage Control: Art and Destruction since 1950 (Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Washington, 2013).