Chen Zhen
À l'heure de la mondialisation, les recherches esthétiques et philosophiques menées à travers les installations monumentales et les dessins de Chen Zhen (1955-2000), artiste chinois basé en France et internationalement reconnu,
offrent un point de vue engagé sur les relations entre l'homme et son environnement, transcendant tout à la fois ses origines chinoises et sa formation occidentale.
Né à Shanghai, Chen Zhen connaît de la Chine communiste les périodes de la Révolution Culturelle (1966-1976) et de la réforme qui bouleversèrent les modes de vie et de pensée d'un peuple entier. Cependant, il grandit dans une famille de médecins parlant le français et l'anglais, dans le quartier de l'ancienne concession française à Shanghai. À cette époque, la seule école d'art de la ville dispense un enseignement traditionnel où il fait l'apprentissage de la peinture, du dessin et de la sculpture.
Curieusement, cette pédagogie traditionnelle offrait à Chen Zhen son premier contact avec l'art occidental. « À partir de 1976, période de la clôture de la Révolution Culturelle, toute une nouvelle génération d'artistes s'est intéressée […] à l'Occident comme arme, comme tentative de dépasser ou de détruire l'histoire de la Révolution Culturelle. Cette Révolution signifiait pourtant, presque étymologiquement, “devoir être opposé à la tradition”. Cette Révolution, au contraire, la renforça et ferma les portes aux possibles influences occidentales, laissant comme seule influence extérieure envisageable le modèle soviétique, au travers du style réaliste communiste. En effet, je me souviens très bien avoir eu connaissance de Léonard de Vinci plus tôt que de Shen Zhou – un des plus célèbres peintres chinois de la même période à la Renaissance ». Il enchaîne l'école d'art avec l'Institut théâtral de Shanghai où il appréhende la question du rapport physique de l'œuvre au spectateur.
Le récit de son expérience de trois mois passés en 1983 au Tibet exprime la part de son travail fondée sur ce qu'il appelle les « courtcircuits culturels ». Il fut notamment admis à pénétrer dans un temple interdit au public: « Au centre des moines regroupés, c'est normalement un prieur aîné qui entonne la prière. Mais là, c'était une radiocassette Philips qui se substituait à la voix du prieur, et sur laquelle était posée une statuette de Bouddha en terre, le tout campé sous un faisceau lumineux figurant l'aura spirituelle. »
Son arrivée à Paris en 1986 à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts prolonge naturellement ces croisements culturels. Chen Zhen suit de nouveau une formation qui lui permet de réévaluer tous ses premiers acquis. Pour Hou Hanru, critique d'art émigré en France en 1990, « ce que les artistes de la diaspora comme Chen Zhen revendiquent dans ce renouvellement d'idées et d'expériences artistiques, c'est une nouvelle forme d'identité (ou d'identification) où la frontière entre soi et autrui, transgressée et transcendée, fusionne ».
Ses déplacements, à partir de 1991, à l'occasion de nombreuses expositions à l'étranger, vont fournir la matière d'un art essentiellement fondé sur le contexte et ses interactions avec sa propre culture. Chen Zhen forge alors les concepts de « transexpérience » et de « Résidence, Résonance, Résistance » pour qualifier son travail. Dès 1992, Chen Zhen nourrit le projet de devenir médecin de tradition chinoise. Ses origines familiales, comme sa longue maladie, l'amènent à envisager sa guérison comme un « processus créatif ». La manière dont il parlait de son œuvre (« synergie », « virus ») comme la composition de certaines de ses installations (tubes de transfusion, matériel chirurgical) croisent, tout à la fois, comme dans la médecine chinoise, une philosophie et une pratique. Plutôt qu'une deuxième période dans sa pratique artistique, ce projet n'est que l'approfondissement de son ambition globale, consistant à comprendre et améliorer le sort des hommes sur terre.