Introduction (p. 5-6)
Paul Panhuysen et ses galaxies sonores occupent une place dans le panorama de l'art de notre époque. Peu célébré ou montré en France (notons cependant sa participation au festival Musiques en scènes, Musée de Lyon (1998), et plus récemment lors du festival OH CET ECHO à l'
Espace Multimédia Gantner à Bourogne (2004), Centre d'Art Mobile, Besançon (2006), Dijon (2007), son importance est néanmoins essentielle. On pourrait résumer son parcours artistique à trois grandes périodes, peintre abstrait tout d'abord, il s'exprime dans une mouvance expressionniste qui rappelle à la fois
Cobra et la peinture abstraite américaine, avant d'incliner vers une abstraction géométrique, construite. C'est de là, des jeux de ligne sur la toile, qu'il expérimente, par la suite des élaborations sonores à base de ces mêmes lignes devenues cordes. C'est en effet vers l'âge de 50 ans qu'il abandonne – face à un environnement peu propice à un accrochage de toiles- la peinture et ses modalités d'exposition, pour tenter une peinture sonore. Le son devient alors le moyen le plus approprié de la mise en évidence, de la conquête et de la maîtrise de l'espace. Se révèle ainsi la préoccupation première de Paul Panhuysen, développée dans le manifeste
Situaties (Situations), qui questionne ce qu'aujourd'hui on nomme
art contextuel ou, selon ses termes l'art en situation. Il se trouve à la jonction des problématiques agencées tant par
Fluxus que par les
situationnistes, quant à son parcours propre, de la peinture construite à l'art en situation, cela le rapproche de ce que
Michel Giroud a coutume d'appeler
Bauhaus-Fluxus. Et si on ne le raccorde pas immédiatement à Fluxus, son mode d'investigation de la chose artistique, y fait beaucoup penser ; et c'est de toute façon en pleine conscience qu'il nomme son groupe musical le
Maciunas ensemble.
Cependant son travail n'est pas lisible sans son versant d'artiste impliqué dans la vie de la cité. Directeur, très jeune, à 27 ans, de l'école d'art de Leeuwarden, intéressé par les questions d'urbanisme et d'architecture, il crée son propre lieu d'expérimentation dans les années 80. C'est
la maison d'Apollon (Het Apollohuis), son lieu d'habitation qui devient lieu de résidence, de rencontres et d'expérimentation. Sa qualité d'archiviste et d'éditeur, nous livre sous forme de journaux pluri-annuels, une trace de tous ceux qui ont travaillé dans ce lieu jusqu'en 2001. Lieu d'expérimentation dans les domaines de la performance et de l'art sonore expérimental, la Maison d'Apollon est aussi son propre laboratoire où il développe toute une série d'études articulant la combinatoire. Reprenant les bases pythagoriciennes, il constitue une double géométrie issue de dessins complexes. Celle-ci prolonge et développe un jeu de lignes qui, de la toile s'étend à l'espace extérieur. Les lignes devenues cordes musicales, permettent l'association combinée où l'élargissement de la gamme des fréquences traditionnellement utilisée dans la musique occidentale donne existence à un spectre sonore étendu . Entre géométrie concrète et géométrie sonore il développe au carrefour de la musique, de la sculpture et de l'installation, les conditions d'un univers à élaborer. Celui-ci ramené au creuset de l'installation est expérimentalement confronté à l'environnement urbain et à la nature. Voir Panhuysen, comme cela a pu être le cas à Besançon, dans la cour d'un palais de la Renaissance, circuler dans une immense construction de cordes et de sphères, du pas hésitant mais assuré d'un funambule ; le voir poser ses mains de façon délicate mais ferme sur les filins, cordes musicales, et produire ainsi la musique du mouvement, dans la chorégraphie radicale du marcheur, ramène à des questions fondamentales. Entre l'artiste démiurge, maître de la construction, et l'artiste humain, simplement humain, du passage, c'est la place de l'homme dans le monde qu'il a créé qui est mise en situation. Le tragique (renvoyé à Dionysos) cède devant l'Apollinien – et ce n'est pas le moindre des intérêts de son travail de réhabiliter Apollon-. Mais cette réhabilitation du beau ouvre comme une voie qui serait celle de la maîtrise du bruit que fait le monde, en vue d'une musique des sphères. Quant à celles-ci, soutendues par les cordes, elles deviennent les nœuds de croisement des lignes invisibles (de cet invisible dont est fait l'art) qui parcourent l'univers. Panhuysen en donne visibilité et un axe d'usage. Si l'on peut associer cette perspective de travail à celle d'un
Max Neuhaus, on notera un glissement de sens. Là où Neuhaus, crée des espaces de concrétion, Panhuysen révèle les lignes de fuite où ce n'est pas tant ce qui est que ce qui peut être, qui est révélé. Il y a comme une utopie où un monde à venir est délimité par les réseaux de fréquence qui le parcourent et les sons qu'ils génèrent.
Louis Ucciani et Yvan Etienne.