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Glass HouseDu projet de film au film comme projet

Glass House S. M. Eisenstein - Glass House
Un projet hollywoodien inachevé d'Eisenstein qui ouvre vers un dépassement possible du cinéma, inspiré par la déconstruction moderne des architectures traditionnelles et des idéologies qui y sont liées.
C'est à Berlin, en 1926, que le réalisateur russe S. M. Eisenstein découvre l'utilisation architecturale du verre et la place qu'il occupe dans un certain nombre d'utopies de réconciliation sociale (Gropius, Mies van der Rohe, Le Corbusier…). C'est alors qu'il envisage de réaliser Glass House, un projet inabouti dont il ne reste aujourd'hui que ses notes de travail, publiées dans cet ouvrage. Un projet pourtant tenté à Hollywood lorsqu'Eisenstein imagina la conception d'un gratte-ciel en verre où tous seraient soumis au regard de tous, où chacun serait renvoyé à sa solitude par soumission aux valeurs capitalistes, et où la question de l'aliénation sociale se mêlerait à celle du « trouble dans le genre » au travers de personnages venus tout droit de la tradition berlinoise du cabaret (travestis, danseuses aux seins masculinisés, nains…). Charlie Chaplin, fasciné par cette anti-utopie où lumière et transparence aboutissent à la coercition et à la mort, avait alors soutenu le réalisateur russe. Ce n'est donc pas un hasard si, dans Le Dictateur, Hinckel avoue à Napaloni être amateur de « moderne » et vouloir mettre partout des parois et plafonds en verre.
Mais Glass House fut également un projet de cinéma : un cinéma échappant aux lois de la pesanteur, à l'héritage de la peinture naturaliste et à l'architecture traditionnelle, qui conduisit Eisenstein à une réflexion esthétique sur les thèmes du polycentrisme et de l'hétérotopie – thèmes que l'art moderne et contemporain ne cesseront jamais de travailler.
Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein (1898-1948), décorateur puis metteur en scène de théâtre (1920-1924) et d'opéra (en 1939), cinéaste (depuis 1924 : cinq films achevés, trois inachevés ou interrompus, une dizaine à l'état de projets parfois commencés puis abandonnés), théoricien du cinéma, dessinateur prolifique, graphiste et enseignant, auteur de nombreux manifestes, articles et conférences, a laissé à sa mort une dizaine d'ouvrages en chantier.
Né d'un père architecte et ingénieur, auteur de bâtiments marquants dans le style Art nouveau (à Riga), Eisenstein commença ses études à l'Institut des ingénieurs civils de Petrograd en 1915, qu'il abandonna pour s'engager dans l'Armée rouge en mars 1918. C'est durant la guerre civile qu'il se passionna pour le théâtre, assurant la mise en scène et les décors de spectacles amateurs. Bientôt, il fut attaché à la section théâtrale du Département politique du front occidental. Démobilisé, il arriva en 1920 à Moscou où il entra comme décorateur du Premier théâtre ouvrier du Proletkult. L'année suivante, il devint en parallèle élève de Meyerhold à ses Ateliers supérieurs de mise en scène. Mais c'est comme metteur en scène du Proletkult qu'il procéda à ses premières expériences de « montage des attractions » qu'il théorisa bientôt, d'abord pour le théâtre, puis pour le cinéma. Le Mexicain d'après Jack London (1921), puis Le Sage d'après Ostrovski (1922) le conduisirent à une transformation significative de ce qui était alors entendu – y compris par les constructivistes et productivistes – par « matériau » du spectacle : « Le matériau principal du théâtre est le spectateur ; la mise en forme du spectateur dans l'orientation voulue (état d'esprit) est l'objectif de tout théâtre utilitaire (agitation, réclame, instruction hygiéniste, etc.). » C'est de ce déplacement du travail de l'acteur sur le spectateur dont il faut obtenir des émotions que procède le montage de moments forts (attractions) en vue de produire cet effet. Après avoir côtoyé Arvatov sur l'adaptation du Mexicain, collaboré avec Meyerhold (il fut son assistant sur La Mort de Tarelkine, mais quitta le théâtre à la suite de dissensions), et Tretiakov sur Le Sage, Eisenstein poussa la radicalité du principe de réalité des objets et des dispositifs au point de mettre en scène Masques à gaz dans une véritable usine à gaz de Moscou. Par ailleurs, il se détourna de la biomécanique, après en avoir été un thuriféraire et l'avoir enseignée, pour s'inspirer des théories de Rudolf Bode, fondateur de la gymnastique expressive, et d'une approche holistique du mouvement, résultant d'une interaction entre intérieur et extérieur. Masques à gaz marqua pour Eisenstein la fin du théâtre. Il avait déjà expérimenté le cinéma en introduisant dans Le Sage une petite bande filmée, Le Journal de Gloumov. À partir de 1923, il s'y consacra complètement. Misant sur les corrélations sémantiques (enchaînements, associations) construites dans la tête du spectateur en fonction de stimulations savamment orchestrées, Eisenstein refusait de rejeter l'art et ses procédés, comme y appelaient les productivistes, mais préconisait au contraire de les utiliser au mieux. Toutefois, l'importance des figures géométriques, l'organisation consciente de chaque plan et des plans entre eux, les liens logiques établis à partir d'images montrant des objets fragmentés à l'extrême ou entre images et texte des intertitres, apparente son travail à celui des constructivistes. Comme eux, Eisenstein appelait à remplacer la mystique de la création artistique par un travail rationnel, calculé dans ses moindres détails. À un niveau plus concret, ses films (particulièrement La Ligne générale, 1927-1929) faisaient la promotion de nouveaux objets et constructions fonctionnelles (la ferme collective construite par l'architecte constructiviste Bourov), ouvrant à un nouveau mode de vie. Enfin, le « cinéma intellectuel », théorisé à la fin des années 1920, visant à mettre en présence deux images concrètes pour que se forme dans la tête du spectateur un sens abstrait né de leur rencontre, peut être vu comme l'interprétation eisensteinienne du constructivisme.

Voir aussi Peter Greenaway : Eisenstein in Guanajuato.
Introduction, notes et commentaires de François Albera.

Traduit par Valérie Posener (russe), Michail Maiatsky (russe et allemand) et François Albera (anglais).
 
paru en 2009
édition française
19 x 24 cm (broché)
102 pages (43 ill. n&b)
 
13.00
 
ISBN : 978-2-84066-265-5
EAN : 9782840662655
 
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