Un logiciel conservant uniquement les fréquences que supprime l'encodage MP3, c'est-à-dire l'inaudible selon l'idéologie gouvernant cette technologie (logiciel sur carte SD et livret sérigraphie, comprenant un texte de Jonathan Sterne).
D'une part, l'inaudible est ici compris au sens de ce qui appartient au royaume des sons ne pouvant être entendus car se situant en-deçà ou au-delà du spectre audible par l'oreille humaine, ou bien masqués par d'autres sons plus forts émis simultanément ou presque. D'autre part, l'inaudible renvoie à ce qui excède l'écoute, sinon l'entendement d'un groupe, d'une communauté, voire d'une société, en tant qu'il est construit socialement, culturellement et historiquement, autrement dit à ce qui ne peut être entendu car demeurant inintelligible pour ce groupe, cette communauté ou cette société, et selon, là aussi, des effets de seuils et de masques. À l'acception phénoménologique de l'inaudible s'adjoint ainsi une acception politique, sans que l'on puisse en réalité tracer une frontière nette entre l'une et l'autre, notamment dès lors que l'on aborde l'écoute en tant que sens pris dans des dispositifs (du reste comme tous les sens), qui l'agencent de manière stratégique, la façonnent techniquement, juridiquement, historiquement et socialement, soit une écoute “appareillée” quand bien même celle-ci ne serait munie d'aucune prothèse visible.
Le logiciel agit de manière exactement inverse au traitement du signal que réalise habituellement un encodeur MP3 : il ne conserve que les fréquences que supprime l'encodage MP3, c'est-à-dire l'inaudible selon l'idéologie qui gouverne cette technologie. Le choix du MP3 ne se veut néanmoins pas une critique de la compression des données audio qu'il opère, ni des usages, ni des écoutes qui le mobilisent, mais intervient simplement en tant qu'il exemplifie de manière particulièrement intéressante la porosité de la frontière censée séparer les deux acceptions de l'inaudible précédemment citées.
La carte SD contient également l'ensemble du catalogue d'Artkillart, réencodé avec le logiciel.
Matthieu Saladin, artiste et enseignant-chercheur, vit et travaille à Paris et Rennes. Sa pratique s'inscrit dans une approche
conceptuelle de l'art, réfléchissant, à travers un usage récurrent du son, sur la production des espaces, l'histoire des formes et des processus de création, ainsi que sur les rapports entre art et société du point de vue économique et politique. Elle prend aussi bien la forme d'installations sonores et de performances que de publications (livres, disques), de vidéos et de créations de logiciels.
Professeur des universités, sa recherche théorique porte principalement sur l'
art sonore et les
musiques expérimentales. Il codirige la collection
Ohcetecho aux Presses du réel, participe aux comités de rédaction des revues
Volume! et
Revue et Corrigée, et a été directeur de rédaction de la revue de recherche
Tacet.
Son travail est présent dans les collections du CNAP, du
FRAC Franche-Comté, du FRAC Normandie Rouen et de la Fondation Kadist.
Voir aussi
L'expérience de l'expérimentation (édité par Matthieu Saladin).
Textes de Jonathan Sterne et Matthieu Saladin.
Conception graphique : Jean-Baptiste Parré.
Développement logiciel : Ianis Lallemand.
Publié avec Synesthésie ¬ MMAINTENANT, Accès)s(, DICRéAM.
paru en décembre 2019
édition bilingue (français / anglais)
15 x 23 cm
15.00 €
momentanément indisponible