les presses du réel

Le Travail de rivière

extrait
Postface
(p. 225-227)


En introduction à ce livre, j'ai souhaité mettre en place ce que j'ai nommé la balade. Choisir de la traiter en noir et blanc est une manière d'en exprimer l'essentiel. C'est une partie importante du Travail de rivière. Elle fait la part belle aux correspondances entre mes recherches, mon carnet de notes visuelles et le travail des artistes qui en constitue le socle, les fondations essentielles. Aux mots, j'ai préféré livrer une introduction en images. Les mots, j'ai choisi de les échanger avec Hélène Meisel.
Il n'y a donc pas d'introduction au sens strict du terme, mais une balade en images et cette simple postface, afin que les différentes lectures du projet restent possibles, comme elles le furent dans l'exposition même. Les hypothèses peuvent continuer à se formuler, comme différents sentiers se dessinèrent pour les arpenteurs de l'exposition.
Avant d'organiser Le Travail de rivière à Ivry-sur- Seine en 2009, j'avais écrit une sorte de préface à Genève en 2007 avec Les Roses de Jéricho. Aujourd'hui, le projet se poursuit à Istanbul avec The Garden of Forking Paths.
La rose de Jéricho est une plante fossile. Espèce archaïque du Moyen-Orient, elle se gorge d'eau dès les premières pluies et revient à la vie. Elle suggère pour moi l'éternité et la persistance.
Le « travail de rivière » est une expression symbolique qui évoque à la fois le façonnage de la matière première et l'importance du travail de l'eau. Le postulat de l'exposition était de réunir la collection temporaire, donc éphémère, du commissaire d'exposition. Une « collection de sable » écrit Italo Calvino : « Rassembler une collection comme tenir un journal, c'est-à-dire un besoin de transformer le cours de sa propre existence en une série d'objets sauvés de la dispersion, ou en une série de lignes écrites, cristallisées en dehors du flux continu des pensées. » L'évocation du cabinet de curiosités n'est pas simplement choisir une forme mais c'est aussi rappeler que la compréhension du monde se fait par l'inventaire des matériaux du sensible, à travers les trois règnes, animal, végétal et minéral.
The Garden of Forking Paths, tire son titre d'une nouvelle de Borges d'une brièveté elliptique, Le Jardin aux sentiers qui bifurquent. L'exposition et la nouvelle se basent sur un labyrinthe temporel. Dans la fiction principale du livre se greffe une histoire secondaire où il est question de l'ancêtre du protagoniste auteur d'un livre et d'un labyrinthe.
Invitée à faire une exposition à Istanbul, la découverte de cette ville m'a permis de poursuivre l'exploration de notions au centre de mes préoccupations et de mes projets : le labyrinthe, où tout semble se répéter, corridors, carrefours et chambres ; l'énigme de l'oeuvre d'art irréductible à un seul sens ; les strates de la mémoire ; la sédimentation des idées ; la révélation par l'analyse ; l'entropie, science mesurant le désordre, qui est synonyme de transformation et de dégradation ; l'origine, qu'elle soit enfouie, oubliée, révélée, fantasmée, virtuelle ou bien encore inventée, point de départ et de conclusion de l'aventure humaine. J'ai choisi ce titre pour le dernier volet de la trilogie, parce que le mot « jardin » m'évoque également le territoire spatial et temporel d'une exposition où chacun peut prendre le sentier qu'il souhaite, pour appréhender le monde, mais aussi s'y perdre.
Ces trois expositions trahissent une forme d'inquiétude face à la fragilité du monde et révèlent une résurgence dans le travail des artistes contemporains des sujets intemporels et universels incarnés par des formes archétypales.
Comme un symptôme ultracontemporain de sauvegarde et de résistance.

Claire Le Restif


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